Gaël Legoff Diplomé en Architecture d'intérieur et environement
Collaborateur d'architecte au sein de l'agence 3'A Architectes
La déambulation citadine
L’espace public comme acteur d’une expérience individuelle et collective.
"La condition urbaine, La ville à l’heure de la mondialisation".
L’expérience publique ou la ville « mise en scène ».
S’exposer en public (pages 52-60).
« La condition urbaine », d’Olivier Mongin, est un essai vi- sant à démontrer l’évolution du concept de la ville en tant que milieu. L’expression « condition urbaine » signifie un espace citadin qui agglomère, l’un de ces lieux rituelle- ment qualifiés d’urbains. Tout d’abord, l’expérience ur- baine renvoie à trois types d’expériences corporelles qui enlacent le privé et le public, l’intérieur et l’extérieur, le personnel et l’impersonnel. Dans son chapitre « S’exposer en public », l’auteur décrit le comportement de l’individu qui déambule dans la ville tel que le décrit Beaudelaire dans ses poèmes « Petits poèmes en prose » (1869). En effet, l’expérience urbaine passe par une mise en scène qui permet aux Urbains de s’exposer, de s’extérioriser. Comment l’espace urbain, la place publique assure cette confrontation entre masse/individu, privé/public et per- sonnel et impersonnel afin de garantir les enjeux de l’es- pace publique? L’enjeu de l’espace publique se définissant comme un espace de liberté et de partage d’un espace et d’une relation social.
1-La ville : lieu propice à la flânerie.
La flânerie, de manière générale, est l’action d’avancer len- tement et sans but précis, se promener au hasard et sans hâte. La flânerie, comme le conçoit Olivier Mongin dans son ouvrage, est l’expression même d’une déambulation qui matérialise, au travers de la ville, des formes diverses d’art. Elle se définit comme un mouvement imprévisible dans l’espace et un temps de rencontre inattendue avec un étranger. L’auteur décortique la flânerie comme une approche singulière de la ville et de tout ce qui en dépend : le mouvement, le corps, la singularité, la masse, le privé et le public. L’auteur distingue le flâneur du promeneur mais surtout le distingue d’une déambulation volontaire et quotidienne.
a- L’individu dans l’espace : une déambulation du poète dans la ville.
« A un premier niveau, celui de l’écriture poétique et de l’expression des corps, l’expérience urbaine se présente sous la forme d’une infinité de trajectoires qui, indisso- ciables de la mobilité corporelle, dessinent un imaginaire, un espace mental, et permettent un affranchissement, une émancipation »1. Olivier Mongin exprime l’idée que le mouvement permet à l’individu de s’extérioriser, de le sortir de son espace privé vers l’espace public où son ima- ginaire pourra s’exprimer. La trajectoire d’un individu se présente comme un langage. La ville est la feuille blanche sur laquelle des corps racontent des histoires. Ces trajectoires façonnent une perception de la ville où l’imaginaire nous laisse interpréter chaque signe. « En marchant, écrit l’auteur, on ne voit pas grand chose, mais on change sans cesse de perspectives comme un peintre cubiste qui re- nonce à la perspective classique »2. L’extériorisation et le mouvement libre permet une expérience unique et un rapport privilégié. Il s’en dégage une expérience senso- rielle, tactile et visuelle exceptionnelle. L’individu est et existe par ces expériences qui le définissent comme un acteur. Il ne subit pas la ville mais la dessine au fil de ses trajectoires aléatoires. « L’ordinaire n’est pas l’envers de l’extraordinaire mais l’occasion, du seul fait de sortir de chez soi et de soi, de se confronter à l’inattendu, dont les figures majeures sont celle de la séduction corporelle et celle de l’étranger »3. L’auteur distingue donc la promena- de quotidienne, « le banal », de la flânerie par cette notion d’inattendue. L’inattendu est une expérience personnelle de l’espace et de tout ce qui le compose. Rien n’est prévu. L’inattendu prend du sens dans un espace ouvert à tous, c’est-à-dire un espace public où se confronte des étran- gers, des espaces, des sensations, etc. Pour l’architecte urbaniste Antoine Grumbach, la mise en place de l’espace public est l’enjeu majeur du travail de la ville sur la ville dont la seule richesse est constituée par l’accessibilité : « Cet auteur introduit la dimension du mouvement, très im- portant dans la compréhension de l’espace collectif actuel. L’accessibilité devient ainsi une condition de la solidarité et les réseaux le fondement de la pensée sur la fabrication de la ville »4. L’accessibilité étant un espace auquel on peut parvenir facilement, c’est-à-dire permettre à tous les indi- vidus d’accéder à un espace ouvert à tous. L’espace existe car il est accessible et permet une confrontation entre les individus.
b- La flânerie : un vecteur de rencontre.
Olivier Mongin évoque la pratique de la marche comme une expérience banale « l’ordinaire n’est pas l’envers de l’extraordinaire mais l’occasion, du seul fait de sortir de chez soi et de soi, de se confronter à l’inattendu, dont les figures majeures sont celle de la séduction corporelle et celle de l’étranger »5. Il exprime ainsi l’idée que chaque mouvement corporel prévoit de l’inattendu du simple fait de s’extérioriser. Le banal prévoit une orientation et une démarche ajustée mais reste soumis à des imprévus : celui de la rencontre. L’auteur insiste sur cet « effet de surprise » pour montrer l’importance de la marche comme facteur d’une approche sociale courte mais intense. Mais il développe cette idée de rencontre dans sa définition du flâ- neur : « comme ces âmes errantes qui cherchent un corps, il –le flâneur- entre comme il veut dans les personnages de chacun »6.
1-Olivier Mongin, La condition urbaine - la ville à l’heure de l’urbanisation,
Ed. du Seuil,2005, p52.
2-Olivier Mongin, La condition urbaine - la ville à l’heure de l’urbanisa- tion, éd. du Seuil,2005, p54.
3-Ibid, p55. 4- Patricia Ingallina, Le projet urbain, Que sais-je?, Puf, Mayenne, 2010.
4- Patricia Ingallina, Le projet urbain, Que sais-je?, Puf, Mayenne, 2010.
5-Olivier Mongin, La condition urbaine - la ville à l’heure de l’urbanisa- tion, éd. du Seuil,2005, p55.
6-Olivier Mongin, La condition urbaine - la ville à l’heure de l’urbanisa- tion, éd. du Seuil,2005, p58.

David Jamin, Flânerie, Peinture, huile sur toile, 80/80 cm, années 2000.
L’auteur tente de définir le flâneur comme une personne solitaire qui tente de « chercher quelque chose ». Il déambule de façon hasardeuse, c’est-à-dire qu’il se confronte à une masse d’étranger et à sa solitude. La masse appelant la solitude et la solitude appelant la masse. Dans tous les cas l’individu cherche à s’identifier, à se retrouver dans cette multitude et dans ce vide. Cette chose qu’il recherche est lui-même, mais aussi l’autre avec qui il peut se confronter pour s’épanouir. L’œuvre « flânerie », de l’artiste peintre David Jamin, exprime par sa gestuelle et le travail de son pinceau une masse et une accumulation. Tout se mélange et se superpose, rien ne parait nette puisque sans contour. Il exprime ainsi un geste hasardeux qui s’oppose au fond blanc uni révélatrice d’une solitude. Sa composition exprime bien cette oppo- sition masse/solitude ainsi que la gestuelle qui met en évidence une démarche opposé : la multitude et l’unicité. Olivier Mongin conclut enfin en écrivant que l’émancipa- tion du privé, l’exposition à l’extérieur, débouche sur une expérience où les masques le dispute à l’anonymat et a l’impersonnalité qui sont le lot initial de l’espace public. L’extérioration est une expérience où chaque individu est soumis au « savoir peupler sa solitude, savoir être seul dans la foule »7. (Charles Beaudelaire, Petits Poèmes en prose -1869-, Gallimard, Paris, 1998).
2-La ville comme espace public élevé aux champs artistiques.
L’auteur, dans son ouvrage, compare la ville aux champs artistiques du théâtre, du langage et de la poésie. Il titre en effet l’expérience urbaine comme une théâtralisation où la ville est le décor et la scène une pièce d’improvisation. La ville met en scène un promeneur qui se confronte aux tra- jectoires inattendues et à l’expérience unique de son exté- riorisation. Il cite ainsi Jean-Christophe Bailly : « une ville est une langue, un accent, comme on lance des mots en l’air avec sa voix, on déploie ses pas dans l’espace en mar- chant et quelque chose se définit peu à peu et s’énonce »8. Olivier Mongin s’appuie même sur le propos d’Henri Gau- din pour affirmer son discours : « l’espace est un prolon- gement du corps »9. L’individu est donc invité à parcourir l’espace public pour en ressentir tout son étendu. On en devient acteur seulement si on s’aventure à parcourir cette scène. Le promeneur devient ainsi acteur par sa déambulation et cette déambulation devient l’énigme. Il est soumis aux imprévues et à l’inattendu comme une pièce de théâ- tre qui met en scène des actes, qui changent à l’arrivée de chaque nouvelle rencontre en créant une zone de friction. La déambulation devient quand à elle la narration de l’œuvre comme peut l’écrire Beaudelaire « Trébuchant sur les mots comme sur les pavés/ Heurtant parfois les vers depuis longtemps rêvés »10. Or toute pièce de théâtre ne peut exister sans son espace scénique. Et la ville, espace public par sa définition, met en scène des individus qui investissent leur espace. « La ville est une feuille, jamais totalement blanche, sur laquelle des corps racontent leur histoire »11. Cet espace public n’existe que grâce au flâneur qui déambule, au marcheur banal qui circule.
L’espace public permet une extérioration où le promeneur va chercher une identification auprès de la masse urbaine et social. L’individu qui déambule est ainsi amener à s’ex- primer, à faire vivre son espace et tous les individus qui s’y trouvent. Quand on sort du privé on est confronté à l’inat- tendu, c’est-à-dire à la flânerie et à la rencontre.
Gaël Legoff
7-Olivier Mongin, La condition urbaine - la ville à l’heure de l’urbanisa- tion, éd. du Seuil,2005, p58.
8-Ibid, p53.
9-Ibid, p55.
10-Ibid, p53.
11-Ibid, p53.