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La lumière dans l'architecture gothique
Comment la lumière est elle devenue un art dans l'architecture religieuse gothique, en France, du XIIe au XIe siècle?



   En France, au XIIe siècle, la religion majoritaire est le catholicisme et l’art architectural dominant est le roman. Les catholiques célèbrent, dans les églises, le culte du Dieu créateur du monde et de la vie. Le terme français Dieu et ses équivalents dans les autres langues romanes (Dio, Dios, etc) proviennent du latin deus, lui-même issu de la racine indo-européenne deiwos. Cette racine signifie «Lumière du ciel ou du jour» et provient de la base linguistique dei-, « luire-briller ». Ainsi, au milieu du XIIème siècle, un changement de spiritualité engendre une nouvelle manière de construire les édifices. Il se produit une renaissance intelectuelle autour de ce Dieu « lumière du ciel ou du jour ».
   Les architectes contemporains ont commencé à s’interesser à la nature et ont eu une admiration pour le Créateur qui a su élaborer un univers rationnel. L’art gothique (l’art des goths -peuple barbare-, selon les Romains), aussi appelé l’art de la lumière, va permettre de rendre compte de ce Dieu lumière. De fait, la première architecture gothique se démarquant fortement du roman, la basilique Saint-Denis (1140/1144-construite sous l’abbé Suger), initie la théologie de la lumière qui deviendra la base des nouvelles techniques de construction des églises gothiques. à partir de cette date, l’art gothique va se développer, principalement au XIIe siècle, dans le Nord de la France. Ces constructions vont être accompagnés d’un essor économique et démographique qui va engendrer de grandes reconstructions pour ainsi passer de l’art roman à l’art gothique, dit «opus francigenum» : oeuvre francilienne. Ce nouvel art influencera une «nouvelle méthode» d’apprentissage de la liturgie. En effet les vitraux deviennent des supports imagés qui permettent à tous les fidèles à s’initier à la culture chrétienne. Ces vitraux permettront aussi de Dieu lumière intellectuelle.







 

La renaissance intellectuelle: Dieu lumière intellectuelle



   Quand on parle de l’art gothique, on sous-entend la Renaissance intellectuelle liée au changement de spiritualité. En effet, à cette époque, on tend vers un regain d’intérêt pour l’antiquité et la nature ainsi qu’une admiration pour le Créateur qui a su élaborer un monde rationnel. Et dans ce dernier cas précis on parle même d’intelligence divine. Dieu est donc considéré comme une lumière intellectuelle. Or, à cette époque, on considère aussi que Dieu a crée la lumière physique et la raison humaine. Et c’est cette réfléxion autour de l’idée de la lumière qui va être transposé dans l’art. La lumière, dans l’architecture gothique, se définit comme le lien entre le divin et la raison humaine. Il se crée donc un rapprochement entre le Créateur et le fruit de sa création : l’Homme et la Nature. Comme le définit l’abbé Suger : « Au coeur de l’oeuvre, cette idée : Dieu est lumière. à cette lumière initiale, incréée et créatrice, participe chaque créature»1. Cependant ce travail de la lumière ne s’articule pas seulement autour des vitraux mais aussi autour du fidèle, des objets de cultes et de l’espace.



   En effet, le fidèle, quelque soit son rang, reçoit et transmet l’illumination divine «selon sa capacité, c’est-à-dire selon le rang qu’il occupe dans l’échelle des êtres, selon le niveau où la pensée de Dieu l’a hiérarchiquement située»2. Le fidèle est reconsidéré dans l’Eglise catholique. Il n’est plus simplement un simple spectateur mais un acteur par ce jeu d’illumination divine. Cependant cette hierarchie est définie selon le reflet lumineux. Or la symbolique de la lumière dans les « objets » d’art ou de cultes sculpture, croix, reliques, coupes, etc) sont l’or et les pierres précieuses. Ces matières ont toujours impressionnées l’Homme car elles illuminent et scintillent avec la lumière. C’est d’ailleurs l’un des principes de base de l’abbé Suger lorsqu’il a rénnové la basilique carolingienne de Saint-Denis (1144) : mettre en relief par la lumière les saintes reliques de Saint-Denis (ornées d’or et de pierres précieuses). Les matières de la relique absorbent et reflètent la lumière pour devenir un jaillissement lumineux. La lumière divine s’interprète dans cette irradiation : « (elle) suscite depuis les profondeurs de l’ombre un mouvement inverse, mouvement de réfléxion, vers le foyer de son rayonnement»3. Ainsi l’homme, ou le fidèle, devient important s’il possède ces matières reluisantes sur lui. C’est ainsi que les hommes riches ont pu prendre de la considération dans l’église catholique. Suger note que « chaque créature reçoit et transmet l’illumination divine selon sa capacité »4, il définie donc l’importance du pratiquant selon sa richesse. Les personnes importantes sont toujours placés près du choeur, lieu où s’accumule le plus de lumière. Une hiérarchie se dessine donc dans l’emplacement même des fidèles.



   D’une autre façon, le noir absrobe la lumière alors que le blanc la rejette. Ainsi se crée toute une symbolique autour du blanc qui renvoit la lumière. Peu d’éléments architecturaux seront édifiés en blanc mais beaucoup de représentations artistiques l’utiliseront: Jésus est toujours représenté en blanc avec une auréole doré. Le blanc connote la pureté et la virginité. Cependant la Vierge Marie n’est pas représenté en blanc mais en bleu et rouge. Le bleu étant le symbole du ciel et le rouge celui de la Terre. Même dans ces couleurs rejaillissent la symbolique de Dieu, le créateur du ciel (=le bleu) et de la Terre (=le rouge).


   De plus, la réfléxion théologique de Suger sur la poétique de la lumière prend en grande considération ces «objets» lumieux, «objets» privilégiés telles que les reliques. Ils avaient autant de considération que la structure architecturale. En effet ces «objets» invitaient «l’âme à progresser du créé à l’incréé, du matériel à l’inéffable»5. Ce pouvoir appartient d’abord aux pierres pécieuses par ce jeu de reflets, mais deviennent aussi le symbole de certaines vertus chrétiennes. Dans le sanctuaire de la basilique Saint-Denis des bijoux étaient installés pour leur scintillement. Ces derniers répondaient aux déversements de lumière qui convergaient vers le chœur, lieu majeur de l’office divin. L’epression divine ne se limite plus simplement à la forme et à l’orientation des édifices mais prend en compte tous les éléments installés. Ainsi le culte n’est plus le seul moyen de rendre compte de Dieu, les différents objets matériels le peuvent par cette prise de considération. Et cet «objet» s’octroie une valeur symbolique forte par sa capacité d’irradiation.



   L’abbé Suger développe une thèse sur le gothique, en écrivant : «L’esprit lourd s’élève vers la vérité par ce qui est matériel»6. Ce changement de spiritualité, induite de cette Renaissance intellectuelle, va engendrer de grandes modifications architecturales. Les églises vont s’élever plus hauts, les vitraux et les rosases apparaissent sur la majeure partie des murs et créent des jeux lumineux diverses, les structures sont allégées, etc. Et toutes ces modifications vont engendrer une nouvelle appréhension, interprétation de l’espace. Et cette réinterprétation de l’espace engendre un changement dans l’approche spirituelle des fidèles. Le marériel, selon Suger, se traduit par tous ces changements architecturaux. A tout cela s’ajoute la lumière travaillé de façon à retranscrire «physiquement» la présence intellectuelle de Dieu et la raison humaine. Ces changements d’approche portent à la réfléxion, c’est-à-dire à l’élévation de la lourdeur de l’âme (que l’on peut définir comme la raison humaine) vers la vérité : la lumière divine, soit, Dieu. L’approche de Suger est intéressante dans le sens où il évoque l’architecture comme élément élévateur vers la vérité. Le bâtiment prend du sens par son simple apparât, sans qu’il y est célébration. Les différentes articualtions entre les espaces (chœur, trancept, etc) et le jeu d’ombre et lumière permettent une réfléxion sur le sens donné au divin. L’espace, notamment à la basilique Saint-Denis, s’ouvre. Tout est allégé et élevé vers le ciel, lieu d’où provient la lumière divine qui fait du gothique un art particulier. Le principe de base des églises romanes est respécté mais revisité pour permettre une réfléxion singulière. Cette réfléxion devant s’élever vers la vérité. On est donc passé d’une architecture passive (comme le roman) à une architecture active, porteuse de sens. L’allègement des structures des églises gotihques est une réponse matérielle de la vérité. Lorsqu’on dit la vérité, on se sent allégé : l’église est elle même structurellement allégée pour retranscrire cette notion de vérité. Ainsi, les éléments architecturaux ont été mis au service de choix et de recherches esthétiques. Les innovations techniques ont pour origine un changement de spiritualité qui doit permettre l’esprit de s’élever vers la vérité.







Nef de la basilique Saint-Denis,Abbé Suget, XIIe siècle. 

​La technique succède l'esthétique


   La lumière prend du sens grâce à l’obscurité. C’est ainsi que le narthex prend tout son sens dans l’architecture gothique. Le narthex est l’entrée de l’église paléochrétienne (IIIe siècle), c’est un espace intermédiaire avant d’accéder à la nef. C’est sur cet emplacement que se trouvaient les catéchumènes, les énergumènes et les pénitents qui étaient exclus du culte religieux. Cependant sa conception a évoluée pour passer d’un espace ouvert à un espace fermé, c’est-à-dire coupé de la lumière. Le fidèle est donc plongé tout d’abord dans la pénombre avant d’arriver dans la nef d’où jaillit la lumière. La lumière prend un sens par ce passage entre l’obscur et le clair. D’autant que « dans la mentalité médiévale, on associait le sombre, ou l’absence de lumière, au Malin»7. Ainsi, quand un fidèle entrait dans la cathédrale, il se sentait protégé du mal par Dieu et cela grâce à la luminosité des vitraux. On retrouve une explication du lien entre Dieu et la lumière dans la Bible. On peut aussi considérer que le sombre représente les ténèbres, lieu sous terre où aucune lumière se diffuse. Ce seuil, espace transitoire, permet de mettre en avant la vérité (le jaillissement de la lumière), sur le mensonge, symbole des ténèbres. Le narthex est donc la symbolique du seuil entre deux espaces bien distincts qui sont le mensonge-le Malin et la vérité- protection divine. L’architecture gothique, à travers le rôle de la pénombre dans le narthex, interprète dès ses premiers éléments constructifs un sens précis à la lumière. Mais à l’intérieur, dans la nef, les évolutions techniques ont permis d’apporter une quantité lumineuse très importante pour donner plus de valeur à cette symbolique.



   En effet, comme vue précédemment, les églises ont pris de la hauteur. Cette prise de hauteur peut avoir plusieurs connotations symboliques : l’élévation spirituelle et l’accession à la présence divine. Une forte hauteur sous plafond permet de se sentir plus libérer, moins à l’étroit, qui tend vers cette élévation spirituelle. De plus que dans le culte chrétien, après la mort on libère l’âme du défunt. On peut retrouver cette symbolique dans le vivant grâce aux avancées techniques : on libère l’âme par ce jeu de hauteur. Cette surélévation des églises, comme par exemple dans la cathédrale de Beauvais (XIIIe siècle), est une avancée technique liée au gothique. La cathédrale de Beauvais à un chœur qui atteint 48,5 mètres de hauteur, on peut donc parler de prouesse architecturale. Mais pour permettre une élévation aussi importante les architectes de l’époque ont du repenser la structure. Le gothique, à ses débuts, tend vers un regain d’intérêt pour la période antique où les structures sont construites selon le principe du « poteau-poutre » pour répartir les charges. Ce principe sera repris et retravaillé de façon a créer des colonnes qui supportent des croisées d’ogives, des voûtes et des arcs brisés afin de répartir les charges.



Croquis extrait du Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle. Eugène Viollet-le-Duc, Notre dame de Beauvais, XIIe-XVIe siècle.

   De plus, la construction est consolidée par des contreforts situés à l’extérieur pour soutenir l’ensemble et permettre cette recherche de verticalité et ainsi créer des murs-rideaux. Cette nouvelle approche de construction permet d’avoir des murs qui ne sont plus des structures porteuses mais des panneaux qui peuvent être entièrement vitrés. Désormais, la cathédrale peut être une lanterne de verre, comme l’écrit Saint Thomas d’Aquin : toutes choses devraient tendre vers Dieu; ainsi les fûts fasciculés attirent ils l’oeil dans deux directions. D’abord ils s’animent et vacillent devant Dieu- fait-homme dans le sacrement de l’autel à l’extrémité orientale de l’église.





1/2/3/4/5- «Le temps des cathédrales», Duby, Gallimard,

1976, p124

6- «Histoire de l’architecture», Nuttgens, Phaidon,

Paris, 2002

7- Encyclopédie scientifique en ligne , Anonyme, www.techno-science.net/?onglet=gloss aire&definition=6806

Basilique Saint-Denis,Abbé Suget, XIIe siècle. 

   De plus, la construction est consolidée par des contreforts situés à l’extérieur pour soutenir l’ensemble et permettre cette recherche de verticalité et ainsi créer des murs-rideaux. Cette nouvelle approche de construction permet d’avoir des murs qui ne sont plus des structures porteuses mais des panneaux qui peuvent être entièrement vitrés. Désormais, la cathédrale peut être une lanterne de verre, comme l’écrit Saint Thomas d’Aquin : toutes choses devraient tendre vers Dieu; ainsi les fûts fasciculés attirent ils l’oeil dans deux directions. D’abord ils s’animent et vacillent devant Dieu- fait-homme dans le sacrement de l’autel à l’extrémité orientale de l’église. Ensuite, ils conduisent l’oeil vers les hauteurs, vers Dieu dans les cieux, comme lorsque dans une forêt de minces bouleaux, on lève naturellement les yeux vers l’endroit où le soleil perce à travers les feuilles. Les cathédrales deviennent, à elles seules, un art de lumière par leurs scintillements, telle que la Jérusalem céleste. Saint Thomas d’Aquin explique bien cette double avancée technique qui lie la recherche de hauteur et les murs de verres. Ces principes expriment Dieu sous plusieurs formes: dieu-fait-homme et dieu lumière intellectuelle. Si on se réfère à la Saint-Chapelle, construite sous Louis IX, alors là le ressentit exprimé par Saint Thomas prend tout son sens. Cette chapelle est le résultat de la réussite de l’architecture gothique qui emploie hauteur et lumière symbolique. Toutes les parois sont vitrées ce qui imprègne le spectateur d’une lumière vive et ardente. Associé à ça la coloration des vitraux l’individu est transcandé. L’espace est illuminé de «milles-feux» et crée un scintillement qui illumine les yeux du fidèle et lui fait perdre tous ses sens. La lumière dévoile, dans ce cas précis, toute la puissance de Dieu par cette accumulation lumineuse. L’individu est écrasé par la lumière et la hauteur. Ce principe conforte donc l’idée d’un Dieu tout puissant, au-dessus de l’homme, qui le domine. L’architecture gothique définit Dieu comme tout puissant par la structure des édifices religieux. L’homme doit être au service de celui-ci.



   Cependant la construction des édifices religieux va être détournée de son sens premier : l’éloge du Dieu créateur. En effet une course va se dessiner entre les différents évêchés du Nord de la France. La construction de ces églises représente un coût important. Chaque architecte des différentes cathédrales vont donc essayer d’innover et de construire toujours plus grand pour montrer sa supériorité économique. Une course à la réussite se lance donc. Cette course va aussi engendrer des effondrements, comme pour la cathédrale de Beauvais où la flèche et le transept vont s’effondrer le 30 Avril 1573 et ne seront jamais reconstruit, faute de moyens. La puissance n’est plus seulement représentative militairement mais aussi et surtout économiquement par ces constructions qui poussent l’innovation architecturale à son paroxysme.



   Mais les églises gothiques sont aussi porteuses d’un récit liturgique. Ils permettent d’instruire les fidèles qui sont, pour la plupart à cette époque, illettrés et de plus en plus nombreux à venir aux célébrations.







La lumière comme source liturgique



   «[...] l’acte lumineux de la création institue de lui même une remontée progressive de degré en degré vers l’être invisible et ineffable dont tout procède»1. Dans ses notes, l’abbé Suger redéfinit dans un discours plus éloquent le principe expliqué par Vitellion, intellectuel du XVIIe siècle. En effet ce dernier distingue deux sortes de lumières : la lumière divine (Dieu) et la lumière physique (la manifestation de Dieu). Les vitraux étaient alors chargés de transformer la lumière physique en lumière divine, autrement dit de faire entrer la présence divine dans les cathédrales. La lumière physique provient du soleil mais ne porte pas de sens particulier s’il n’y a pas ce travail de transformation. Elle devient divine par le vitrail qui filtre cette lumière et par un processus ce qui la rend divine. Ce processus prend plus de sens avec l’obscurité (le narthex), les hauteurs et les colorations des vitraux. De plus qu’à l’extérieur on ne distingue pas cette coloration, elle est seulement visible de l’intérieur ce qui appuie l’intérêt de ce processus. La lumière est divine car il se crée une symbolique par l’architecture gothique. L’église gothique devient donc une multiplication de reflets lumineux colorés qui tend à traduire ce Dieu intellectuel.

   

   

Mischa Koball, Refraction House, Synagogue Sommeln,

Cologne, 1994. 

 

 

   Or, un artiste allemand : Mischa Kuball, va créer un processus inverse. En effet le scintillement ne sera plus de l’intérieur mais de l’extérieur. Il créée un jeu lumineux très fort depuis l’intérieur vers l’extérieur de la synagogue de Stommeln : Refraction House (1994). «Son rayonnement aveuglant doit pouvoir rappeler l’importance fondatrice du thème de la lumière dans la constitution des grandes religions monothéistes et, du même coups, son critère éminent de langage symbolique. L’artiste cultive cette dominante de lumière attractive»2. Et par ce jeu il démontre non pas la valeur symbolique du Dieu lumière, tel que le gothique, mais la valeur symbolique de la lumière dans la religion monothéiste. Le bâtiment est dématérialisé par cette lumière mais l’ombre qui en ressort laisse l’architecture se dessiner. Seul les vitraux permettent ce jaillissement qui attire le regard sur l’édifice religieux. Kuball insiste sur l’explosion de lumière comme l’explosion de la lumière divine, dont le culte se pratique dans une architecture particulière qui est dématérialisée. Ce processus est inverse au gothique qui cherche, au contraire, à matérialiser un phénomène inéffable. Son travail prend la lumière physique qu’il ne transforme pas, elle est laissée blanche, pourtant la symbolique y est importante. Cette expérience d’opposition démontre la forte symbolique liée à la lumière mais montre aussi que l’interpretation peut s’avérer identique même si elle s’y oppose. Alors que dans les églises gothiques, à partir du XIIe siècle, la lumière devient si abondante qu’on peut colorer les vitraux. Ils sont édifiants pour les fidèles et représentent bien souvent des scènes bibliques, la vie des saints ou parfois même la vie quotidienne au Moyen-âge. Ils étaient de véritables supports imagés pour le catéchisme des fidèles qui n’avaient alors qu’à lever les yeux. L’art du vitrail aboutit, écrit G.Duby, «[...] aux grandes roses qui rayonnent au milieu du XIIIe siècle sur les nouveaux transepts. Elles portent à la fois signification des cycles du cosmos, du temps se résumant dans l’éternel et du mystère de Dieu, Dieu lumière, Christ soleil»3. Durant cette période, donc, les vitraux seront le support du récit biblique. Le cas de la cathédrale de Chartres, qui compte à ce jours la plus grande superficie de vitraux, est un bon support. Si l’on prend l’exemple des vitraux de Notre-dame de la Belle verrière (XIIe siècle), on sera subjugué par les couleurs. On peut admirer la finesse des détails et la mise en valeur de « la Vierge à l’enfant ». Ce qui permet aux fidèles de comprendre que c’est la Vierge ce sont les couleurs. La Vierge est toujours représentée en rouge et bleu ce qui permet aux fidèles de comprendre les références aux différents personnages. Toutes les représentations religieuses, comme par exemple celles des apôtres, sont définies par des signes (objets, couleurs, positions, etc.) pour permettre aux fidèles de comprendre les références. Par exemple Saint-Luc sera toujours représenté avec un taureau. D’autres éléments sur le vitrail permettront ensuite de comprendre le récit. La position assise de la Vierge avec l’enfant (avec les doigts levés) sur ses genoux réfère à « la Vierge à l’enfant ». Ceci étant le récit de la nativité et la maternité de Marie. Ce vitrail représente une richesse culturelle et liturgique par le nombre de détails, la superposition des couleurs sur une simple partie du cadrage en plomb et l’échelle de représentation. Cependant, de nos jours, de nombreux vitraux ont du être restauré, notamment dans les églises gothiques. Dans le cas de la Cathédrale de Rodez (XIIIe siècle), l’artisan contemporain Stéphane Belzere, a rénové (en 2005) des vitraux sans prendre en compte ses codes gothique du vitrail. Dans le cas de ce vitrail, présenté dans la cathédrale, le thème demandé est la résurrection et l’incarnation selon le prologue de Saint-Jean. Déjà, dès le premier regard, on s’aperçoit que le vitrail n’est pas une superposition de couleurs délimités par les cadres mais simplement un dégradé sur tout le long. Ensuite on remarque que l’artiste a choisi une certaine abstraction quand à la représentation de cet épisode liturgique. En effet les éléments représentés tendent à se fondre dans la masse et ne se distinguent pas entre-eux, ils ont tous une couleur unique: le noir.



   La symbolique des couleurs changent aussi. Aujourd’hui un fidèle n’a pas les mêmes codes colorés que ceux du Moyen-âge. Du coups l’artiste interprète le rouge comme la puissance de l’amour et de la lumière et l’entâchement de gris comme celui les ténèbres. Cet entrelacement signifie le combat des ténèbres et de la lumière qui cohabitent. L’artiste met ces couleurs sur un même plan pour montrer une confrontation. Le vitrail gothique aurait distingué ces deux parties en représentant séparément la lumière et les ténèbres dans des cadres différents par des éléments iconographiques. La confrontation serait la juxtaposition des nuances (icônes, couleurs, cadres). La dégradation de la couleur du vitrail va vers le blanc qui signifie la puissance éblouissante de la lumière. On remarque donc que les codes changent car les symboliques sont différentes et la composition se distingue du gothique. Les références sont plus abstraites, car l’artiste met sa touche personnelle à l’ouvrage, contrairement du XIIe au XVIe siècle. S.Belzere interprète la lumière par le dégradé pour la rendre symbolique et l’intensifie en créant une lumière vive sur la partie supérieure du vitrail. Il crée une double symbolique en créant un vitrail blanc, qui définit la lumière physique et divine.


   Le récit liturgique est une base dans la composition des vitraux du XIIe au XVIe siècle. Il permet d’instruire les fidèles et de donner une valeur d’avantage symbolique à la lumière. Cependant, aujourd’hui, les codes ont changé mais pas complètement la symbolique. La composition des vitraux évoluent ainsi que le traitement graphique mais garde une certaine cohérence quand au récit











   On définit donc le gothique comme art de lumière. Cette définition prend en considération le changement de spiritualité qui a engendré une nouvelle interprétation. En effet tout élément dans les églises tendent à refléter la lumière pour la matérialiser et ainsi mettre en avant la lumière intellectuelle du divin et de la raison humaine. Mais ce travail a pu être réalisé grâce aux avancées techniques qui ont permis de créer des murs rideaux et ainsi intensifier la lumière. L’église gothique cherche à mettre en avant la lumière et toutes les recherches architecturales et spatiales reposent sur cette recherche. C’est ainsi que la lumière devient un art car elle porte à réflexion sur la condition de l’homme et de Dieu. La lumière n’est plus seulement un élément physique mais une symbolique qu’on tente de traduire par différents principes. Le plus représentatif étant les vitraux. Ces derniers, par un travail raffiné, tout en détail, qui exploitent l’espace et la lumière à son maximum, définit concrètement la symbolique du divin. Ce travail sur la lumière dans l’architecture gothique devait être une représentation de la Jerusalem céleste. Car si l’on en croit les récits selon Saint-Jean alors la Jerusalem serait descendue du ciel : «[...] Et la cité sainte, la Jerusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, [...] Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeura avec eux »1. L’édifice n’est plus seulement un espace fermé mais un scintillement de lumières qui s’élève en hauteur vers la lumière sacrée. Ainsi, cette lumière et cette verticalité definissent le symbole de l’infini, de l’extase et de l’émotion. Elles se perdent dans le ciel, ne rencontrent ni obstacle ni limite. La lumière, accompagné par cette verticalité, symbolise le sublime: Dieu lumière intellectuelle.





Gaël Legoff



1- «Le temps des cathédrales», Duby, Gallimard, 1976, p124

2- «Art, le présent: la création plasticienne au tournant du XXIe siècle», Paul Ardenne, éditions du Regard, 2010

3- «Villar de Honnecourt. La pensée technique au XIIème siècle et sa communication», (R) Bochmann, Picard éditeur, Paris, 1991

4- «Apocalypse de Saint-Jean» (ou «Révélation»),

La Bible, XXI, 18.

Gaël Legoff / Architecte d'intérieur / 06-31-25-18-21 / 63bis avenue de la République - Luisant / legoff.gael@gmail.com

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