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«Musée précaire Albinet»
Réfléxion sur les enjeux de l’art encrés dans la réalité.







   Le Musée précaire d’Albinet est un projet réalisé par l’artisite Thomas Hirschhorn au printemps 2004 sous l’initiative des «Laboratoires d’Aubervilliers».

   Ce projet avait pour vocation de mettre en palce un «musée précaire» au pied d’une barre d’immeuble dans le quartier du Landy à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis (93). Ce «musée précaire» proposait d’exposer durant huit semaines des œuvres clés de l’histoire de l’art du XXème siècle: «huit artistes dont l’utopie était de changer le monde». Pendant deux mois (prenant en compte le montage/l’exposition/le démontage), l’artiste Thomas Hirschhorn invente le Musée Précaire Albinet, un lieu d’échanges et de rencontres où «l’art peut, l’art doit, l’art veut... changer la vie»1.







L’investigation de l’art dans l’espace public.



   T.Hischhorn se refuse à réduire son travail exclusivement dans des lieux culturels et tient à confronter son travail dans les musées, galeries commerciales, mais aussi dans la rue. Il cherche ainsi à être en accord avec l’espace public à travers son travail.
   C’est pourquoi la réalisation de ce musée suit les règles de l’art et non la logique d’une action sociale. L’élaboration de ce musée suit son parcours artistique où ses œuvres sont esthétiquement pauvres et marginales mais très structurées avec des matériaux simples, matériaux de récupération pour la plupart. Et ce musée se constitue en effet de cartons, de palettes de bois, de scotch et de bois, pour le principal. L’artiste, à travers la réalisation de cet espace éphémère, traduit un espace qui définit sa relation à l’œuvre d’art pour présenter des œuvres d’art. C’est par ce processus qu’il conditionne son travail comme une intervention artistique et non social.

   De plus, l’ensemble de son œuvre est conçu pour être montrer là où il peut être vu: dans la rue, les halls de magasin et aux pieds des barres HLM. Il souhaite être ainsi en accord avec l’espace public dans lequel il s’implante: «en tant qu’artiste avec un projet dans l’espace public je dois donc forcément être d’accord avec la réalité»2. Son travail met en scène une réalité que souvent nous oublions mais présenter un travail dans l’espace ouvert à tous, c’est-à-dire l’espace public, nous confronte directement à cette réalité. L’artiste considère que l’art a du sens s’il met en place une contradiction et un scandale qui questionne la société. Cette contradiction repose sur le fait que l’artiste présente des œuvres d’art utopistes dans un contexte

qui inclut une réalité sociale et économique: celle d’un quartier empris au processus d’exclusion. Le scandale (c’est-à-dire ce qui paraît incompréhensible, pose problème à la conscience) provient du fait d’avoir créé un «musée précaire» pour présenter des grandes œuvres utopistes
du XXIème siècle.

   «Œuvrer à même le monde réel (...), exposer hors du
centre d’art ou du musée s’avèrent en fait inconcevable sans une profonde refonte de la notion même d’art, en ce sens : le primat dorénavant accordé à la présentation, contre la représentation. Comme a pu l’écrire le critique d’art Pierre Restany, « le statut platonicien de l’image n’a vraiment été contesté qu’à partir du moment où l’expansion de la culture urbaine nous a fait passer d’un art de la représentation à un art de l’appropriation du réel, c’est-à- dire de sa présentation »»3.



   Mais pour que l’utopie est du sens il faut la confronter à la réalité: celle des cités. L’utopie est une construction imaginaire et rigoureuse d’une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise un idéal. L’idéal de l’artiste est de confronter directement l’utopie à la réalité. Les barres d’immeubles et toutes les conséquences qui y sont impliquées se présentent donc comme la réalité alors que son intervention se présente comme l’utopie d’une société où l’espace public dévoile ce auquel les habitants du Landy n’ont plus accès: l’art. Ce musée précaire connote bien cet enjeu d’amener l’art là où on ne peut garantir la durée, la solidité, la stabilité, qui, à chaque instant peut être remis en cause. Cette intervention reste ponctuelle dans le temps et l’espace mais l’impact dans la réalité peut rester infini.



   Mais cette réalité quelle est elle? Un quartier sensible où la pauvreté est très présente. Or cette pauvreté enclenche un processus d’exclusion, de replis sur soi où l’individu n’a plus accès à l’espace qui l’entoure: celui de la ville. Alors si le quartier, qui implique tous ses habitants et ses infrasctutures, ne peut pas venir à la ville, alors la ville, qui comprend la culture et un processus d’intégration, vient au quartier. C’est ainsi, comme l’explique Thomas Hirschhorn, que «je dois co-opérer avec la réalité pour la changer. On ne peut pas changer la réalité si on n’est pas d’accord avec elle»4. «Être d’accord» avec la réalité ne signifie pas seulement approuver mais affirmer le sens de l’intervention. Or le travail de l’artiste est d’exposer des œuvres d’arts clés utopistes dans un espace qui ne conditionne pas un site prévu à cet effet: un quartier sensible de logements. C’est-à-dire qu’il expose là où on a pas accès facilement à une forme de culture dans un espace qui définit cet enjeu de se montrer, s’exposer: l’espace public.







 





Jeunes du quartier qui mettent en place l’exposition, «Musée Précaire Albinet», Aubervilliers, 2004.

Le rôle de l’individu dans la mise en place de l’ œuvre.

   En répondant à ce projet, l’artiste, dans son engagement, milite en faveur de plus de justice et d’égalité et implique donc les habitants du quartier à la réalisation d’une œuvre. Il crée ainsi non pas son œuvre mais une œuvre élaboré avec les habitants.







1-Thomas Hirschhorn, Le Musée Précaire Albinet, Les laboratoires d’Au- bervilliers, 2005.

2-Ibid
3-Paul Ardenne, L’art dans l’espace public: un activisme, www.édredon. uqam.ca, 2011.
4-thomas Hirschhorn, À propos du «Musée Précaire Albinet», à propos d’un travail d’artiste dans l’espace public et à propos du röle de l’artiste dans la vie public, Juin 2004.

Tomas HIRSCHHORN, «Musée Précaire Albinet», Aubervilliers, 2004. Commenditaire: «Laboratoires d’Aubervilleirs». Partenaires: Centre Georges pompidou, Musée National d’Art Moderne et Fonds National d’Art Contemporain.
Matériaux: bois, scotch, palettes, panneaux translucides.

   Durant cette animation socioculturelle, l’objectif affiché est que la culture et l’art participent à l’amélioration d’un quartier. C’est en mettant en avant ce principe que l’artiste définit l’art et la culture comme des «outils» qui «doivent être utiles». Ce musée devient un support pour offrir un développement personnel et un renforcement de la sociabilité des habitants. En effet ce musée est monté et démonté par les habitants du quartier, il est entretenu, surveillé et mis-en-service par les jeunes et les habitants du quartier. Certains jeunes ont été notamment formés pour assurer la sécurité et le déballage des œuvres. L’art devient donc une sorte de prétexte pour créer une relation sociale et la culture une motivation de la créer. En ce sens ce projet peut apparaître comme un projet socioculturel. À partir de cet événement des jeunes, ceux formés au préalable par le centre Georges Pompidou et ceux qui
ont participé au déroulement de l’exposition, ont réussi à se réinsérer. Ce n’est pas l’art en lui-même, dans ce cas précis, qui a permis ces réinsertions mais l’implantation même de l’exposition. La prise en compte du contexte reste un aspect important de l’artiste pour affirmer son propos, son travail: l’inclusion.



   Chacun s’approprie le sens d’une œuvre d’art. L’art prend en compte une subjectivité. Mais seul l’art n’exclut pas l’autre mais permet d’instaurer un dialogue entre l’habitant et l’œuvre , entre l’œuvre et l’habitant et entre les habitants eux même. C’est ainsi que l’individu devient un support vivant quand le musée lui est un support précaire. Cette approche fait référence au projet de Jochen Gerz, «Monument de la place invisible», à Innsbrück, 1993. En effet l’artiste met en place dans son œuvre le principe du faire du vivant le support de l’art. Dans son projet, J.Gerz inscrit tous les noms des cimetières juifs d’Allemagne (datant d’avant 1933) sur des pavés d’une place public et les oriente face contre terre de manière aléatoire. Ainsi le spectateur devient le seul lien possible entre texte et image puisque l’œuvre n’est pas visible et fait du vivant le support de l’art. Ce dernier n’a de sens que par la réflexion apporté par l’individu. Cette exposition se présente donc comme une plate-forme d’inclusion.



  

Vernissage de la semaine dédié à l’artiste Kasimir Malevitch, «Musée Précaire Albinet», Aubervilliers, 2004.

   L’Autre est mon prochain, mon voisin. L’Autre est ce qui m’est étranger, ce que je ne peux pas comprendre, ce qui me fait peur. «L’Autre» dans l’expérience du «Musée Précaire Albinet» signifie la volonté absolue d’inclure, de ne pas exclure»5. Ce propos met en exergue le rôle déterminant de l’art dans ce processus d’inclusion. «L’Autre» signifie à la fois l’habitant (mon voisin) et l’art (ce que je ne peux pas comprendre) mais aussi «ce voisin que je ne peux pas comprendre» qui est une forme d’intégration mis-en-place par ce musée. L’art se traduit donc comme l’outil d’échange, de partage entre deux entités, deux «Autres» que je ne connais pas.
   Ce projet devient aussi source d’inclusion dans le sens où il amène les gens extérieurs au site pour qu’il puisse découvrir l’exposition. Ainsi une mixité sociale se crée entre l’ensemble des habitants du «Grand Paris» et ceux du quartier du Landy. À travers cette exposition l’artiste questionne le rôle de l’art comme vecteur d’une mixité sociale sur plusieurs échelles: Grand Paris (agglomération)-Aubervilliers (ville)-Landy (quartier)-Albinet (rue).
Ainsi que la mise-en-place d’une buvette et d’un atelier permet de conforter cette idée. Ces espaces permettent un échange et un dialogue. La vie du musée se rythmait au gré des ateliers d’art plastique et d’écriture, des conférences, des sorties culturelles, des repas commun et du vernissage hebdomadaire.

 

   Ce «Musée Précaire Albinet» a permis de revaloriser l’image du quartier et, le temps d’un moment, de l’ouvrir sur un territoire plus grand. Ainsi ce quartier est sorti de son anonymat pour être pris en compte dans un projet de réhabilitation urbaine.





Gaël Legoff









5-Thomas Hirschhorn, «Re», Aubervilliers, 2006.

Gaël Legoff / Architecte d'intérieur / 06-31-25-18-21 / 63bis avenue de la République - Luisant / legoff.gael@gmail.com

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